mardi 27 décembre 2016

et si on ouvrait un refuge pour chevaux (histoire belge)

La question que je me suis posé c'est: mais qu'est-ce qui pousse donc une personne lambda à ouvrir un refuge pour chevaux. Depuis 30 ans que je traîne mes guêtres dans ce milieu je pense connaître quasiment tous les refuges de Belgique et suivi pas mal de créations , succès, périclitation et longévité ou feux de paille de ces entreprises. Je vais utiliser le mot 'refuge' au sens premier du terme càd un lieu où les chevaux mal en point peuvent trouver, repos, amour, soins et paix. Je sais qu'en Belgique le terme refuge ne peut s'utiliser que pour les asbl qui se sont fait agréer par le ministère mais cet agréement n'est qu'une formalité administrative et en aucun cas un gage de compétence. Mon but n'est pas de dénigrer, juste de constater avec un oeil pragmatique (le mien) ce qui se déroule dans les refuges de la création jusqu'à ... si vous comptez vous lancer dans l'aventure au moins vous aurez été prévenu

Plusieurs acteurs interviennent dans un refuge, commençons par le commencement

LEPRESIDENT DIRECTEUR GENERAL, CREATEUR

Un beau jour, après plus ou moins de réflexion, quelqu'un décide de créer un refuge. La raison en est toujours la même, une prise de conscience de l'ampleur de la misère des chevaux et surtout la volonté de faire autrement càd MIEUX que tout ce qui existe déjà. Le PDG est persuadé d'avoir vu la lumière, d'avoir compris mieux que tous les autres ce qui est bon pour les chevaux et comment il va faire pour venir en aide à un maximum de chevaux en se montrant exemplaire aux yeux du public qui va enfin comprendre comment on fait pour bien faire et le suivra financièrement et physiquement car on ne pourra que se prosterner devant tant de perfection.

Le PDG a suivi toutes les campagnes menées, que ce soit le 'non un cheval ça ne se mange pas' jusqu'aux saisies diverses et variées répercutées par le net ou les medias. Généralement ce n'est pas un 'homme de cheval' muni d'une expérience enviable tant au niveau vétérinaire qu'au niveau 'éthologique', tout au plus a-t-il sauvé un ou 2 chevaux et veut-il multiplier cette heureuse expérience à l'infini. Parfois il a été bénévole dans un autre refuge, exclu des décisions fondamentales, relégué au nettoyage du box et au coup de brosse à son filleul cheval qu'il vient rencontrer une fois par semaine. Il n'a jamais géré une écurie entière, n'a généralement pas suivi de formation appropriée à ce sujet et son plan financier est des plus légers. Mais de tout façon IL SAIT, il sait tout sur tout, il n'a besoin ni de conseils ni d'apprentissage, son amour des chevaux va tout régler et tout arranger.
Sa première action ne sera donc pas de faire des stages chez des professionnels ou d'autres refuges mais bien de créer sa propre asbl de façon à pouvoir signer ses mails de son nom assorti du mot 'président', pcq finalement ça en jette ...
Voilà donc la base jetée, l'asbl existe, elle a un président, yapluka.
Le premier cheval arrive, les amis s'enthousiasment et félicitent le président. Ils s'engagent à parrainer le chanceux qui a été sauvé de l'enfer, en parlent autour d'eux et l'effet boule de neige se met en route. Tous ceux qui ont ou connaissent un cheval 'à sauver', vont contacter le nouveau président, les vieux chevaux de manège, les naviculaires réformés d'obstacle, tous les 'unwanted horses' vont lui être proposés. Le président va se sentir pousser des ailes, on parle de lui, on le tag sur Facebook, lui pourra faire quelque chose, tous les autres ont dit non, lui va dire oui ... et les félicitations de pleuvoir ...et les chevaux d'arriver et au bout de quelques semaines ou quelques mois la situation va devenir problématique tant au niveau de l'infrastructure, que de la charge de travail et surtout des finances.

Parce que la motivation première du président c'était d'être connu et reconnu, respecté pour ses compétences, admiré pour son dévouement, plaint pour l'énorme charge de travail que représentent tous ces équidés à sauver et à soigner, bref exister aux yeux des gens.
Il se voyait déjà volant d'un coin à l'autre du pays porter secours aux malheureux équidés pendant qu'une armée de bénévoles compétents et motivés font tourner le refuge, encensé par la presse, expliquant aux ministres incompétents les nouvelles loi à voter, les réglementations à changer. Respecté de tous, admiré, adulé même, rassembleur de foules, exemplaire en tous point et cité en exemple même au delà des frontières.

Mais une association n'est rien si elle n'a qu'un président (ça, il va falloir qu'il l'apprenne) car un autre intervenant incontournable participe à la vie du refuge : le bénévole.

LE BENEVOLE

Certains refuges ayant réussi à bien faire prospérer leur entreprise (la majorité des cas sont des refuges chiens/chats s'étant adjoint une partie 'chevaux') peuvent se payer le luxe d'avoir des salariés dans leur entreprise. Ils sont souvent payés une misère (dans le cadre de remise au travail des chômeurs de longue durée), rarement compétents dans le domaine des chevaux (on apprend sur le tas ...de fumier) mais ils sont payés pour le boulot qu'ils abattent quotidiennement et doivent obéir au patron.

Le bénévole, le vrai, il vient proposer son aide au refuge sur son temps libre, gratuitement, uniquement motivé par son amour des animaux. Il a entendu parlé de ce nouveau refuge, de ses magnifiques actions et admire le président sans même le connaitre. Il se fait donc une image idyllique de la vie au refuge ou, s'il a déjà été bénévole ailleurs (les bénévoles sont des oiseaux migrateurs qui voyagent de refuge en refuge à la recherche d'un Graal impossible) il se dit que ce refuge là va être différent. Sa motivation c'est d'aider les animaux mais aussi d'être reconnu pour ce qu'il fait, pour son abnégation et participer aux sauvetages. Quand on lui explique que la vie d'un refuge c'est 90% de travaux de nettoyage et 9% de bricolage il se dit que lui est venu pour le 1% de soins aux chevaux, de sauvetage et de photo dans la gazette. Il a du mal à accepter que le président ne lui accorde que peu de temps, oublie le plus souvent de le remercier et de le valoriser pour ce qu'il a fait et surtout lui fasse des reproches pcq il ne vient pas les jours de communion du neveu, d'anniversaire de la grand-mère, de réunion d'anciens élèves, de vacances, de pluie, de froid, de rhume etc ...
Bref le bénévole fait du bénévolat comme un hobby et vient donc quand il le peut. Il a l'impression de se coltiner toutes les tâches ingrates (comme le nettoyage des box, le balayage de la cour etc), d'être tenu à l'écart de toutes les décisions importantes du refuge et d'être considéré par le président comme un mandaï, celui-ci ayant beaucoup plus de considération pour le donateur ou le sponsor ...
Et nous voilà donc arrivé au troisième acteur principal de cette épopée

LE DONATEUR

Comme partout, le nerf de la guerre dans un refuge c'est l'argent. Tous les refuges, tout le temps, doivent se battre pour trouver de l'argent. Il n'y en a jamais assez. On lorgne sur le voisin qui s'est fait construire X nouveaux box, ou un manège couvert pour la détente des chevaux, celui qui a reçu plusieurs tonnes d'aliments, a pu se permettre de financer de grosses opérations en clinique pour les chevaux ou tout simplement celui qui arrive à boucler ses fins de mois sans pleurnicher.

Chez certains l'argent sembler rentrer à flot alors que d'autres rament et attaquent la falaise.

Des donateurs il y en a de toute sortes. La majorité est celui qui verse 5€ de temps en temps, pour faire sa BA et participer à sa façon ponctuelle à un problème ponctuel (un sauvetage, une opération, l'achat du foin pour l'hiver). Ils sont les gouttes d'eau qui forment les petits ruisseaux. Mais les frais d'un refuge c'est une grande rivière qui coule toute l'année, 24h sur 24, 7 jours sur 7.
Le président doit donc multiplier les 'bons plans' pour alimenter ce torrent incessant. On organise des ventes au profit de, un crow founding sur Face Book (qui contrairement à ce qu'on raconte ne rapporte quasi rien), on cherche des parrains pour les chevaux (mais un parrainage de 10€/mois pour un cheval dont l'entretien coûte entre 100 et 150€/mois ...) et on se rend compte que les parrains sont aussi voyageurs que les bénévoles, dès qu'il se passe quelque chose de plus passionnant dans un autre refuge on transfère son parrainage ailleurs. Restent les fêtes de Noël et autres journées portes ouvertes ou les repas parrain/marraine pour motiver les donateurs existants. Pour avoir du monde à sa propre manifestation il est de bon ton d'aller aux manifestations des autres. Par tout un système complexe et non écrit de renvoi d'ascenseur on se doit non seulement d'être présent aux manifestations des autres, mais aussi de se partager le claendrier afin d'éviter que tout le monde fasse sa JPO ou sa fête de Noël le même jour, on partage (ou pas selon ses affinités) mes événements des autres sur sa page FB. On vérifie qui a partagé ou pas partagé quoi et on règle ses comptes en faisant pareil envers la concurrence plus ou moins amie. Sous le slogan : nous nous battons tous pour la même cause se cache une politique digne des plus grands partis ...

Et puis il y a les 'gros donateurs' ou 'sponsors' ou 'légataires'. Qu'ils soient entreprise ou particulier, qu'il donne de son vivant ou après sa mort c'est lui, ou eux qui font  réellement la pluie et le beau temps dans un refuge. C'est à eux que sont destinés les publications, campagnes, actions. Tout est mis en oeuvre pour les garder et éviter à tout prix de s'attirer leurs foudres et voir ainsi toute la structure du refuge s'effondrer comme un château de cartes. On a beau dire, dans un refuge tout est interchangeable sauf le grand donateur. Il n'a donc pour interlocuteur que le président, le vulgus pecum ignore jusqu'à son existence, il est le deus ex machina du refuge, l'Arlésienne ou le poisson volant, on connait ou soupçonne son existence mais on n'en parle pas, enfin pas directement et surtout on fait tout, absolument tout pour se le garder.

LA MORALE DE CETTE HISTOIRE ... larilette, larilette ...

C'est qu'au moins vous ne pourrez pas dire que vous ne saviez pas, qu'on ne vous a rien expliqué.

Que lors de la création d'un refuge 3 scénarios sont possibles après un premier démarrage en fanfare habituel.

Soit le président se rend compte que tout ça n'est rien pour lui, que les intrigues, la course à l'argent et à la notoriété ne sont rien pour lui. Mais comme son amour pour les chevaux est réel il continue à faire vivre ceux qu'il a sauvés, n'en reprend plus d'autres et tente de mettre fin en douceur à une aventure qui n'était pas la sienne. Tout le monde peut se tromper ...

Soit le président compte, comme mère Teresa, sur la 'providence' pour veiller sur une quantité exponentielle de chevaux, il en rentre des nouveaux (le plus représentatifs possible, gravement malades ou blessé, d'une race ou d'une robe qui suscite l'engouement), il louche sur la copie du voisin et tente de faire pareil ..entretemps les chevaux vivotent ou survivent (quand ils ne crèvent pas carrément la misère tant l'argent manque), ils ne sont pas le 'moteur' du président, juste un faire valoir, une tentative d'exister aux yeux des gens, de se sentir admiré, glorifié, extraordinaire ...avec la peur d'être rejeté si on admet qu'on n'y arrive pas, que les dettes se sont accumulées et qu'on n'a pas les compétences nécessaires pour mener à bien une entreprise qui nous a dépassé. Cette histoire là se termine soit en saisie (un comble) de chevaux qui sont encore en plus mauvais état après leur passage au refuge qu'avant. Soit en disparition pure et simple des chevaux et du président, ne restant que l'ardoise d'impayés.

Soit le président, en bon chef d'entreprise, arrive à mettre en place une saine gestion des entrées et des sorties, a un sens inné de la communication efficace et parvient à attirer et garder les donateurs indispensables à la pérennité de l'oeuvre. Il aurait tout aussi bien pu ouvrir n'importe quelle autre PME. Il ne connait pas 'ses' bénévoles, ne se préoccupe pas de l'état de santé de ses pensionnaires, il y a des gens payés pour ça. Il ne voit et ne vit que par les chiffres, côtoie les 'grands' de ce monde, fait de la 'protection politique' ou les réunions sont plus importantes que la colique de 'Hope' (tout refuge a un cheval qui s'appelle Hope), bref il s'est élevé très loin au-dessus du fumier qui fait le quotidien des bénévoles et des présidents qui n'ont pas eu son succès mais il déteste du fond de son petit coeur tous ceux qui ne se prosternent pas devant sa grandeur. Il s'est auto-proclamé roi de la protection, il est le seul l'unique le vrai, celui qui a tout compris et ne tolère dans son monde que ceux qui lui ont prêté allégeance, n'hésitant pas à user de toutes les ficelles à sa portée pour faire tomber ses ennemis.

Ceci était ma vision de la protection des chevaux en Belgique toute ressemblance etc ...

2 commentaires:

  1. C'est un délice à lire.
    Doux-amer, poivré-salé mais tellement sincère et révélateur.
    En n'en point douter, çà sent le vécu.
    Une seule question.
    Pourquoi seulement en Belgique ? Ce n'est pas universel ?

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  2. Oui, j'applaudis :-)
    J'adore particulièrement certains passages et n'ai pas pu m'empêcher de sourire aux souvenirs qu'ils éveillent... ;-)
    Bises et meilleurs voeux

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